Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Miguel de Francisco
Miguel de Francisco
Publicité
Archives
Derniers commentaires
Miguel de Francisco
16 mai 2006

Adieu à Miguel de Francisco Forero

Paroles prononcées par Eduardo Mackenzie, au cours des obsèques de Miguel de Francisco Forero,

à l’église de St Jean Baptiste de la Salle, 70 rue Falguière, 75015 Paris, le 14 février 2006.

Nous voici réunis au tour de la dépouille mortelle de notre regretté ami Miguel de Francisco Forero qui nous a quittés, par surprise, le 31 janvier dernier. Miguel est mort  dans la solitude de son appartement, après avoir été soigné pendant quelques mois dans un hôpital de la ville, car il luttait depuis des années contre une grave maladie. L’homme pudique et courageux qu’il était,  faisait semblant d’ignorer la maladie, chercher à lui tourner le dos.   

Miguel était un homme de lettres. A la fin de l’année 2005, il avait eu le grand bonheur de voir la parution, en édition bilingue, chez L’Harmattan, de l’une de ses œuvres préférées, « Le Nain et le trèfle ».

Rappelons pour mémoire qu’il était aussi l’auteur d’un récit, « Arcana »,  ciselé dans  la plus belle prose poétique et traduit en français par Laure Bataillon, en 1989,  sous le titre « Le trèfle des chants ». Ce texte remarquable était, en fait, une évocation éplorée de son enfance et du foyer paternel, « suprême majorat », perdu à jamais. Miguel de Francisco est  également l’auteur d’un court roman, « L’armoire de célibataires », traduit  en 1996 par Michel Falempin, ainsi que de « Histoires de princes et de Ménines », une allégorie au tour d’un tableau de Velasquez sur les princesses infantes espagnoles au temps du roi Philippe IV. Ces autres récits sont  « Una alfombra Blanca », « Les Amis »,  suivi des « Ennemis de l’âme », et d’« Inventaire provisoire ».

En 1987 et  1988, il avait été boursier, à deux reprises, de la Maison des écrivains étrangers et traducteurs de Saint-Nazaire, double séjour d’où il sortira avec un court manuscrit  qui fut traduit par Alain  Keruzoré et publié sous le titre d’« Histoire des ‘Four Roses’ et des sept sœurs ». Il s’agit d’un texte paradoxal, à la fois cryptique et ouvert, où il raconte, au fil des pages, les quatre jours qu’il avait passé attaché à un lit d’hôpital où il avait failli trépasser.

Miguel de Francisco était né à Medellin, en Colombie, le 5 février 1949. Il avait fait des études de philosophie et lettres à Bogota, où il donnera plus tard des cours de littérature. Tous ses amis connaissent l’anecdote qu’il se plaisait à raconter, décrivant comment il est parti de Bogota, un jour de 1978, après avoir vendu sa bibliothèque de mille livres pour pouvoir s’acheter un billet d’avion pour Barcelone. Depuis ce voyage,  et après un séjour de sept ans en Espagne, il n’est jamais rentré dans son pays. Mais il ne faut pas croire qu’il était un réfugié. Il disait toujours avoir quitté son pays « par goût du voyage littéraire » et n’être qu’un « exilé volontaire ».

Et s’il avait signalé qu’il s’était refusé de retourner en Colombie, « à cause de la violence qui s’y exprimait en direction des artistes, des ouvriers, des paysans », il n’avait jamais dit d’où elle venait, à son avis, cette fichue violence. A la différence d’autres écrivains colombiens d’aujourd’hui, qui s’obstinent à sonder uniquement et de façon monotone un seul terrain narratif, « la violence », Miguel de Francisco n’avait jamais suivi les pistes fixées par un Mejía Vallejo ou un García Márquez. L’un des aspects les plus intéressants de l’oeuvre de Miguel de Francisco est précisément cela : sa curiosité, son appétit pour les sujets autres, son cosmopolitisme, sa liberté d’esprit. Mais voilà ce qui explique aussi les difficultés auxquelles il a dû faire face.

Je me rappelle d’une conversation en 1985, chez moi, rue Vavin, autour d’une tasse de thé, au cours de laquelle un Miguel enthousiaste m’avait dévoilé la trame de son livre « Le nain et le trèfle », un texte qu’il jurait pouvoir faire traduire et publier en seulement quelques mois. Y parvenir lui a demandé en réalité vingt années ! Voici un exemple des cruelles  aspérités qui marquèrent sa vie de créateur.

Miguel était un travailleur acharné, assez secret et furtif, à peine connu d’un groupe restreint de lecteurs et de spécialistes. Il disait être un écrivain « solitaire et désespéré, séparé de la terre par l’oratorio spectral de l’écriture ». Ce qui ne faisait pas de lui nécessairement un ermite ni un homme triste car il possédait  un sens aigu de la conversation et de la discussion amène, surtout si celle-ci se faisait autour d’un thème de littérature, sa seule et véritable obsession.

Comment lui-même  se voyait-il ?  « Ma silhouette vient de miroirs défunts »,  disait Miguel. « Tout ce qui fut à moi, papier, air, toits et colombes, s’est enfui. Je reviens de loin, couvert de tatouages, barbe longue et tête ébouriffée. Ma voix est née des échos du silence. Voici mes lettres de créance : ambassadeur de moi-même, je vous présente mes excuses pour faire ainsi irruption de façon quelque peu abrupte dans votre intimité. Je suis peut-être ce solitaire qui ouvre les portes sans faire grincer les gonds et qui, avant que personne l’ait vu, s’enfuit en laissant les portes ouvertes. »

Miguel croyait à l’écriture « par fragments ». Il invoquait Borges et Cortázar comme exemples d’une littérature faite de textes courts, dont la logique et la beauté pouvaient découler de la discontinuité et de la surprise brève. Et de l’ironie : « bataille des Ardennes, bataille de gardénias »,  avait-il écrit un  jour, en souriant. Parfois, le style de Miguel de Francisco pouvait être désordonné, âpre, saccadé. Mais n’était-ce pas exactement en cela que son admiré Stendhal fondait la modernité en littérature ?

Il y a cinq ans, un philosophe contemporain français, vilipendé ces jours-ci pour dénoncer certaines choses qui se passent en France, avait écrit ceci : « Il y a le bruit du monde et il y a le silence des absents. Il y a le fébrile aujourd’hui et il y a le fragile autrefois. Il y a les plaisirs ou les soucis de la vie. Et il y a la prière que nous adressent les morts. Les morts prient, il faut leur répondre : devoir de mémoire est le nom aujourd’hui donné à cette extravagante injonction ».

Quelle est la prière que nous adresse Miguel depuis son cercueil ?

Que son œuvre ne soit pas plongée dans l’oubli, dans le silence. Je pense en cet instant à ses manuscrits. Aux manuscrits de Miguel, enfouis dans cette grande sacoche qu’il trimbalait partout, fébrile et soucieux, comme je l’ai vu tant de fois, entre une ville et une autre, entre un appartement et un autre, entre un rêve et un autre, entre un abandon et un autre, tout au long de cette longe errance que fut sa vie. Nous lui devons au moins cela à Miguel : préserver, avec sollicitude et respect, ses textes, et surtout ses manuscrits inédits, et faire en sorte qu’ils soient publiés, décemment publiés, un jour.

Adieu Miguel, adieu l’ami.

Eduardo Mackenzie

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité